dimanche 28 août 2011

L'écriture libératrice



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Gérard Genot





Les grands jeux
du hasard et du sort


essais sur la

Jérusalem délivrée








Reproduction autorisée
2008







L’écriture libératrice


Le vraisemblable
dans la
Jérusalem délivrée



Résumé

Il critico francese ve­rifica empiricamente sul testo della GL il problema dei meccanismi di funzio­namento del verosimile e degli opposti processi di apertura ed evasione sopra cui si organizzano alcuni dei principi costitutivi dell’opera letteraria. Il verosimile rappresenta, secondo Genot, un sistema di referenza del testo all’extratesto - in­teso come società cultura ideologia - individuabile a livello semiologico attra­verso una serie di meccanismi: di giustificazione, di inclusione-esclusione, di selezione e restrizione dei possibili narrativi, ecc. In tutti i casi si tratta di un’ope­ra di relativizzazione dell’assoluto del testo, che nel caso del Tasso è in funzione della materia narrativa – la cronaca della prima Crociata fatta da sto­rici cristiani, e quindi fortemente orientata dal punto di vista ideologico – e dal­la sua collocazione storica di scrivente nel Cinquecento in un paese cattolico che reagisce alla Riforma. Accanto a questi processi repressivi, e in funzione antagonistica ad essi, stanno i meccanismi di liberazione ed evasione che tendo­no a una riconquista dell’autonomia del discorso letterario, sottraendolo al prin­cipio di integrazione a un altro discorso non letterario (il verosimile appunto) che, in quanto tale, costituisce un fattore di alienazione. Nel caso del Tasso, sostiene Genot, « nous avons un exemple assez rare de conscience critique ac­compagnant l’élaboration d’une œuvre qui présente tous les degrés de confor­mité et tous les modes d’évasion du vraisemblable, et qui a été ensuite signifi­cativement transformée en une autre plus respectueuse d’exigences que l’auteur avait métalittérairement faites siennes, mais que la littérature ... avait constam­ment trahies au cours de l’élaboration du texte ».[5]



Le problème du vraisemblable se pose à divers niveaux, qui demandent à être identifiés si l’on veut poser clairement les problèmes pertinents à certains d’entre eux. Le niveau qui nous intéresse ici est le niveau sémiologique, mais il semble difficile de le définir en lui-même, et il faut tout d’abord procéder par exclusion. Si nous écartons une recherche de type métaphysique portant sur l’essence du vrai et les formes du semblable, et des enquêtes de type psychologique ou historique, il reste à mener l’examen formel d’un système de marques de la sémie globale « vraisemblable », positivement ou négativement présente dans un texte. Il est certain qu’il faut prendre le concept de vraisemblable comme une notion générale, et non l’éparpiller en une analyse détaillée qui, se fondant sur des occurrences particulières, retomberait presque fatalement dans le domaine de la recherche de type historique.

Un texte à l’épreuve
Cependant, une procédure de recherche à ce niveau ne peut guère être définie théoriquement, et il vaut mieux se lancer empiriquement dans l’étude d’un texte ou d’un ensemble de textes, en délaissant provisoirement toute tentative de définition du terme de vraisemblable ; en somme, il s’agit de raisonner plutôt sur le fonctionnement que sur le contenu de cette notion. Il peut être intéressant de choisir pour une première étude un texte qui, sur ce plan, a été amplement justifié et attaqué (intentions, commentaires, critiques, apologies) ; ces données métalittéraires ne seront alléguées qu’excep-tionnellement, mais du moins elles prouvent a priori que la question peut être légitimement soulevée à propos de tel texte. C’est pour cette raison que l’on peut choisir la Jérusalem délivrée du Tasse, qui propose des questions et des solutions en assez grand nombre pour justifier que l’on tire des exemples surtout de ce texte.

Texte et extra-texte
Corpus et texte
S’agissant d’une étude sémiologique, on devra tout d abord délimiter avec exactitude le corpus à examiner ; nous venons de désigner un texte, mais c’est avant tout la notion de texte qui demande à être précisée, pour ce qui est du moins de certains de ses caractères qui nous importent ici. Le texte est un tout, fermé, ordonné, cohérent, justifié. Que le texte soit un tout implique que l’on puisse et que l’on doive l’étudier en lui-même avant tout, dans son équilibre et ses tensions internes, avant de s’efforcer de le rattacher à d’autres systèmes, textuels ou non, extérieurs à lui. On sait que la démarche dite « positiviste » procède à l’inverse, et non sans résultats intéressants. Ce tout est fermé et ordonné, c’est-à-dire qu’on doit considérer les éléments qu’il contient comme appartenant à des inventaires qui sont, par définition, fermés, ce qui rend leur étude provisoirement incomparable avec celle de systèmes à inventaires ouverts (langage « courant » ) et exclut en fait la méthode comparative, au moins en un premier temps ; ce n’est qu’ensuite que l’on peut alléguer des données qui permettent de rattacher le texte à d’autres textes ou à des faits non textuels. Le texte est cohérent à tous les niveaux ce qui signifie que chaque élément doit être confronté avec l’ensemble de tous les autres pour prendre toute sa signification : aucun isolement n’est possible, car un texte est un système, et chaque partie conditionne les autres. Enfin le texte est entièrement justifié *: ce qui veut dire qu’il porte toutes les marques nécessaires à l’établissement et à la reconnaissance de sa signification. Tout ce qui est nécessaire à la compréhension d’un texte est déclaré dans ce texte, de façon plus ou moins explicite, voire sous forme de cases vides reposant sur l’attente déçue, et qui sont aussi signifiantes que la présence explicite et articulée d’un élément discursif.
Intentions et justifications
Toutefois, il faut préciser ici que la justification dont nous parlons n’est pas métalittéraire, mais qu’elle s’intègre dans le tissu discursif lui-même ; en effet, la justification métalittéraire, si elle atteste la pertinence de certains problèmes à propos d’un texte donné, et la présence d’éléments quelconques dans ce texte, n’en rend pas forcément compte de façon acceptable. Tout d’abord, il est bien évident que la justification métalittéraire échappe au texte dans la mesure où elle lui est extérieure, et ne peut souvent lui être rattachée qu’artificiellement, sinon assez arbitrairement. Les déclarations d’intentions, souvent déterminées de l’extérieur, ne sont nullement un principe sûr d’interprétation. Les intentions peuvent changer, et, d’autre part, elles peuvent être codées en fonction d’un système de censure. Par ailleurs, il est souvent illusoire d’appliquer à un texte particulier des considérations d’ordre général, fussent-elles du « même auteur » (jusqu’à quel point la même personne, écrivant deux œuvres différentes, dont une, notamment, métalittéraire, est-elle le même auteur?). On ne résout pas non plus la question en la posant en termes de « poétique » et de « poésie », c’est-à-dire en termes d’exécution. Le discours métalittéraire est souvent un texte aux intentions pratiques (et non proprement littéraires), et par là même il est fortement sujet à caution, étant en quelque sorte aliéné, dans la mesure où il est déterminé partiellement par des intentions qui débordent la signification du texte. C’est pourquoi on s’en tiendra prudemment au système clos du texte lui-même, qui est l’objet particulier de notre attention.

Le conditionnement
Extra-texte
Pour définir, dans l’optique qui nous intéresse, les modes de fonctionnement du texte, il convient de rechercher ce qui, dans son environnement, le conditionne, et de quelle façon la notion de vraisemblable joue dans ce conditionnement. Si le discours du texte est compact, clos et organisé, ce que nous appellerons l’extra-texte est diffus, apparemment ouvert, apparemment amorphe. Il est constitué de ce que l’on appelle généralement la culture d’une époque ou d’un individu, un ensemble (difficile à définir) auquel le texte en question entend s’ajouter. Les caractères que nous avons indiqués ne sont pas généraux et invariables. On peut introduire, du moins au plus formalisé, sinon du moins au plus conceptualisé, une distinction pratique.

Le discours historique
Il y a une couche de l’extra-texte qui est partiellement discursivisée et, sans entrer dans les détails, on peut citer quelques-unes de ses zones. La première est ce que nous appellerons avec Barthes le discours historique. Il s’agit de la façon dont est reconstruite linguistiquement une réalité ou plusieurs réalités non linguistiques effectives et passées ou considérées comme telles. Dans le cas du Tasse, ce discours est double. Il y a d’abord la matière historique du texte, telle qu’elle a été perçue matériellement par l’auteur, à savoir dans la chronique de Guillaume de Tyr : ce discours, « orienté », ou aliéné, a influé sur la reconstruction que le poète a ensuite réalisée, prenant cette première reconstruction linguistique à peu près comme une matière non linguistique. Disons que dans les rapports (que nous n’approfondirons pas) de l’histoire et de la poésie, la chronique de Guillaume de Tyr constitue pour le Tasse une forme du vrai, auquel son texte s’adaptera ensuite sous forme de vraisemblable (positif, ou négatif, laissant plus ou moins place à l’invention).

Le discours politique
Naturellement, ce discours historique est largement conditionné, par ce que nous appellerons le discours politique, c’est-à-dire la formulation (parfois implicite) d’idéaux collectifs exprimés en tant que tels. Dans les chroniques des Croisades, il s’agit d’une orientation, d’une distribution du tort et de la raison, du bien et du mal, de la magie blanche et de la magie noire, selon un système binaire et totalitaire (manichéisme religieux et politique). À ce premier discours historique, se superpose dans ce cas le second, confondu avec le discours politique propre à l’époque du Tasse. L’avancée des Turcs et les menaces qu’ils font peser sur l’Occident, la bataille de Lépante, les nécessités personnelles qui poussent les hommes de lettres à louer les seigneurs dont ils dépendent, et les induisent à leur attribuer, avec une généalogie flatteuse, un rôle politique présent ou futur qui puisse satisfaire leur vanité, constituent, entre autres, des motivations relativement codifiées, sinon entièrement formalisées, et qui rendent compte d’un certain nombre de caractères du texte.

Choix : l’actualité
Il est intéressant, à ce point, d’étudier brièvement quelques-unes des justifications extérieures apportées par le Tasse à certains caractères de son poème[6]. Le choix du sujet est expliqué par la nécessité de parler de faits point trop éloignés pour qu’ils puissent intéresser le public, et assez anciens pour pouvoir donner lieu sans gêne pour le même public à quelques inventions ;[7] l’insertion de la réalité contemporaine, ou du discours politico-historique actuel dans le discours ancien, présenté comme contact d’une réalité in fieri avec une autre révolue, se fait de plusieurs façons ; l’une d’elles est la comparaison : la situation qui fait l’objet du récit est présentée comme analogue à celle qui a cours, et tel personnage actuel est comparé à tel héros du récit : Alphonse d’Este est appelé « émule de Godefroi » (i, 5,-7). D’autre part, une sorte d’interpénétration ou de brouillage intervient dans certains cas : le Turc est nommé « il fero Trace [le fier Thrace] ») (i, 5, 3), ce qui a pour but de montrer que toute histoire est unitaire, et que celle qui sera narrée est liée à la présente, qui procède d’elle les deux se garantissent réciproquement, ainsi que le prouve ce passage :



C’est à bon droit, s’il se trouve qu’en paix
se voie jamais le bon peuple du Christ,
et qu’au fier Thrace, avec nefs et chevaux,
sa grande proie injuste il essaie de reprendre… (i, 5, 1-4.)

Choix : l’histoire
Le choix d’une base « historique », c’est-à-dire d’un discours formalisé, constitue une garantie d’authenticité[8], mais elle constitue également une sélection et une restriction des possibles du texte ; cette restriction est déclarée, dans la Jérusalem Délivrée, dès les premières lignes, comme dans les poèmes classiques, et elle délimite la matière (tout en laissant place à des digressions dont nous verrons plus tard le statut).
Je chante avec les pieux combats le capitaine
qui du Christ libéra le grand Sépulcre.
Il fit beaucoup par sa sagesse et par son bras,
souffrit beaucoup durant la glorieuse conquête ;
en vain l’Enfer s’y opposa, en vain
s’arma d’Asie et de Libye le peuple mélangé.
Le Ciel le gratifia de sa faveur, et sous les saintes
enseignes ramena ses compagnons errants.  (i, 1)

Il apparaît donc qu’à côté des discours historique et politique existe au moins un autre « discours » que nous appellerons le discours formel. Au niveau général qui est encore celui où nous nous plaçons, il s’agit du fait peu formalisé, que le texte à faire dépend d’une série d’autres textes, qui lui sont apparentés (ou auxquels il s’apparentera) soit par la forme, (« genre » ) soit par le contenu (matière du récit).

L’opinion commune
De la croyance
À ce point, nous avons à introduire une autre couche de l’extra-texte, qui se marque par des limitations ou des licences infligées ou accordées, souvent au moyen de justifications qui changent avec le temps : nous parlons de l’opinion commune. Littré définit la vraisemblance dramatique de la façon suivante : « Elle consiste en ce que les diverses parties de l’action se succèdent de manière à ne heurter en rien la croyance ou le jugement des spectateurs, eu égard aux préliminaires de la pièce » ; cette définition est valable généralement pour tout texte où joue le concept de vraisemblable. Les préliminaires peuvent être les différentes formes de sélection et de limitation dont nous avons parlé, et constituent un système de référence, déterminé par divers facteurs (texte de référence, « lois du genre » ), mais absolutisé à partir du moment où il est posé ; dans le cas de la Jérusalem Délivrée, c’est en fonction de la matière historique (les Croisades racontées par un historien chrétien) et de la situation de l’auteur (écrivant au seizième siècle dans un pays catholique qui réagit contre la Réforme), que seront jugés les éléments du récit, par les contemporains d’abord, puis, d’une façon qui évolue, par les différentes générations suivantes. Une fois posées les prémisses narratives que nous avons citées, il sera « invraisemblable », par exemple, qu’un chevalier chrétien agisse mal sans intervention de la magie noire des Infidèles comme c’est le cas de Renaud ou du rebelle Argillan (viii, 59). Cet exemple illustre le caractère conventionnel des motivations et leur évolution avec le temps, dans la vision des critiques.

De la relativité
Il faut toutefois reconnaître que le Tasse a eu une conscience étonnamment moderne de cette relativité. Partant, et il ne pouvait guère en être autrement, de cette constatation que « l’histoire est, soit de fausse religion, soit de vraie » (DPE, ii, p. 93, DAP, i, p. 6), il analyse en termes de probable et de croyable certains éléments de merveilleux, tels que les anneaux enchantés, les coursiers volants, les navires transformés en nymphes, etc. (p. 93). On observe clairement dans ce passage le « truquage » par lequel une forme de merveilleux est admise et une autre est bannie ; le merveilleux est vraisemblable s’il est l’opération de Dieu ou des puissances surnaturelles reconnues par la « vraie religion ».
Que le poète attribue quelques opérations qui excèdent grandement le pouvoir des hommes à Dieu, à ses anges, aux démons, ou à ceux à qui Dieu ou les démons concèdent puissance, tels que les saints, les mages et les fées. Ces opérations, si elles sont considérées en elles-mêmes, paraîtront merveilleuses : et même, on les nomme miracles dans l’usage commun. Les mêmes, si l’on a égard à la vertu et à la puissance de qui les a opérées, seront jugées vraisemblables.
 (DAP, i, p. 7-8 ; DPE, ii, p. 96-97)
C’est donc l’origine de l’événement merveilleux qui fait de celui-ci un miracle ou un prodige :
Mais si ces miracles, ou prodiges plutôt, ne peuvent être faits par vertu naturelle, il est nécessaire que la cause en soit quelque vertu surnaturelle ou quelque puissance diabolique ; et nous adressant aux divinités des gentils, le vraisemblable cesse en grande partie, ou le probable ou le croyable plutôt, bien qu’il s’agisse du même sujet.                (DPE, ii, 93 ; DAP, i, p. 6)
Ayant donc introduit la distinction miracle-prodige, et les catégories du vraisemblable, du probable et du croyable, passant ainsi de la figuration à l’intellection, puis à la foi, le Tasse analyse correctement le relativisme du vraisemblable :
N’est pas probable absolument ce qui fut probable au gentil ; ni ce qui au gentil paraissait vraisemblable, ne paraît vraisemblable à chacun : n’est pas vraisemblable, n’est pas croyable pour le chrétien ce qui est cru de l’idolâtre.
              (DPE, ii, p. 94)
Il est certain que le relativisme ne frappe, dans la conscience du Tasse, que les motivations des « fausses religions », et n’est en quelque sorte qu’une conséquence de son manichéisme. Mais c’est une autre conséquence qui nous intéresse surtout ici :
À quel point donc le merveilleux que portent en eux les Jupiter et les Apollon est dépourvu de toute probabilité, de toute vraisemblance, de toute crédibilité, de toute grâce et de toute autorité, chaque homme, même de médiocre jugement s’en pourra aisément apercevoir, en lisant les écrivains modernes ; mais chez les poètes anciens ces choses doivent être lues avec une autre considération et presque avec un autre goût, non seulement comme des choses reçues par le vulgaire, mais comme approuvées par la religion d’alors, quelle qu’elle fût.
 (DAP, i, p. 6 ; DPE, ii, p. 94)
Le Tasse, dans ce passage, établit la possibilité d’une relativisation des modes de la lecture, conciliant, par un jeu de substitutions verbales, son obédience religieuse et son goût littéraire. Et il fait clairement allusion, en des termes qui pourraient s’appliquer à ses ennuis personnels, au lien entre politique et littérature, qui est lien aliénant ; parlant des poèmes fondés sur une fausse religion, il écrit en effet : « mais le défaut n’est pas celui de l’art poétique, mais de la politique, non du poète, mais du législateur. » (DPE, ii, p. 95.)

Autorité et sanction
L’opinion commune, généralement accaparée par un petit nombre d’individus qui se jugent représentatifs, et auxquels se joint parfois l’auteur lui-même, produit une distorsion du concept de vraisemblable, et le faisant passer du discours littéraire au comportement social, et soumet le texte à sanction et amendement : c’est ainsi, que de la volonté même du Tasse, une assemblée de réviseurs émit des jugements déterminés par des raisons extra-textuelles, et qui portèrent l’auteur, qui avait fait sienne cette sanction non littéraire, à corriger son œuvre. Certains épisodes, jugés inconvenants (comme celui d’Olinde et Sophronie) furent supprimés, d’autres modifiés, les oppositions plus tranchées, le manichéisme se fit plus rigide encore. Dans ce dernier élément de l’opinion commune, le caractère contraignant, voire répressif, de l’extra-texte, apparaît clairement, et montre comment un texte cesse d’être pris comme un absolu intangible pour devenir un comportement sujet à sanction et à modification. Le même fait se produit pour le Cid, à cette différence près que l’avis du corps constitué en assemblée de révision resta dans le domaine littéraire.

Genre
Corpus et génétique
Toujours au niveau des contraintes et des limitations, la notion de genre doit être annexée à une étude du vraisemblable. Elle fait partie, si l’on veut, de ce que nous avons appelé le discours formel, mais elle est généralement fort détaillée et se mue volontiers en un système de préceptes dont la rigueur s’apparente à celle de la sanction extra-textuelle incarnée par l’opinion commune. La différence essentielle est que cette notion repose sur un corpus précis, et parfois sur un seul texte. Il s’agit d’un concept génétique qui prétend définir des œuvres à faire sur la base d’œuvres déjà réalisées ; ces œuvres « classiques » sont perçues et décrites en fonction des autres couches de l’extra-texte, c’est-à-dire que leurs caractéristiques font l’objet de sélections et d’exclusions qui ne tiennent pas forcément compte des différentes significations et structures du texte, mais seulement de celles qui sont arbitrairement indiquées comme typiques d’un ensemble d’œuvres : le procédé, on le sait, remonte à Aristote, et il est à penser que tout système de préceptes repose plus sur des réalisations empiriques antérieures que sur des règles abstraites, qui manqueraient autrement de fondement. Le problème se retrouve dans bien des systèmes de signes, et notamment dans les langues naturelles et artificielles. Ainsi, toute « incarnation » du genre est-elle partielle et gauchissante, toute conformité soustractive ; mais surtout, elle impose des justifications de carence, de surabondance, de modification, qui sont fondées sur ce que l’on sait du système du lecteur c’est ce qui explique le « retard » de la critique en face d’une œuvre « nouvelle » ; mais il arrive également que les justifications, ou certaines des justifications incluses dans le texte soient également fondées sur ce système, et constituent un « accrochage » par rapport à l’opinion commune ; c’est souvent le cas pour le Tasse. C’est ainsi que la revue des troupes chrétiennes, composée sur le modèle de l’Iliade, et formellement reconnaissable, repose par ailleurs sur une « vraisemblance » des caractères qui tient du préjugé racial
Mais c’est cinq mille qu’Étienne d’Amboise
et de Blois et de Tours en guerre amène.
Ce n’est pas gent robuste ou dure à la fatigue,
encore que de fer elle reluise toute.
La terre tendre et gaie et délicieuse
semblable à soi ses habitants enfante.
Leur élan, déchaîné dans les premiers assauts,
facilement ensuite languit, et s’arrête.  (I, 62.)
Et l’on retrouvera d’autres notations de ce genre :
Il ne nous attend pas, et ne nous craint, et il méprise
les Arabes tout nus à vrai dire et poltrons,
et jamais ne croira que des gens habitués
au pillage, à la fuite, osent tant maintenant (ix, 11, 1-4)
Ici, l’apparente contestation, venant d’un personnage négatif (Alecto) renforce l’opinion courante (Soliman sera battu). On pourrait citer également :
Pourtant comme le fourbe empereur grec
pourrait user vers lui de ses arts ordinaires (i, 69, 1-2)
C’est là qu’apparaît l’utilité de la recherche historique*, non pour dévaloriser ces signes de la conformité, comme a pu le faire Croce, mais pour évaluer exactement leur résonance et leur valeur dans la structure générale du texte, sans naturellement que soit jugé caduc ce qui fut lié à une situation culturelle particulière ; aussi bien notre préoccupation n’est-elle point historique ou esthétique, mais sémiologique.

Système
Toutefois, pour aller jusqu’au bout de ces quelques indications, il convient de signaler que toute œuvre, au fond crée son genre dès lors qu’elle acquiert vitalité et autonomie : il est bien connu que seules de plates et lourdes imitations sont purement conformes aux lois d’un genre, et que bien souvent l’absence de valeur propre* est le corollaire de cette conformité trop parfaite. L’œuvre, en quelque sorte, se repropose comme système, et devient modèle (modèle d’elle-même d’abord puis éventuellement d’autres œuvres (le Roland Furieux a eu cette fortune, que n’a pas eue la Jérusalem délivrée). La remarque serait de peu d’intérêt si elle ne rattachait pas l’œuvre littéraire à d’autres systèmes de signes : encore une fois, il est à remarquer qu’une langue se sert de modèle à elle-même, et que c’est en fonction de ses formes réalisées antérieurement qu’on juge les formes en cours de réalisation ; dans une œuvre littéraire il en est de même, mais il faut signaler deux difficultés : tout d’abord, l’œuvre littéraire utilise des systèmes de signes qui appartiennent à un autre ensemble, celui de la langue, mais il est peut-être hâtif de conclure qu’elle doit être étudiée selon les seules lois de fonctionnement de la langue ; d’autre part, si l’on convient sans trop de difficulté que la langue est virtuellement un tout, on a tendance à considérer l’œuvre réalisée comme une fraction, une partie ; ce qui est exact, mais en un second temps seulement, et il convient de la considérer tout d’abord comme un tout constitué.

Modèle
Le modèle, auquel nous avons fait allusion, est une forme particulière, réalisée, et partiellement exclusive de l’extra-texte, dans sa couche formelle ; le modèle est un cas particulier du genre, mais en apparence seulement. Car si le genre propose des lois qui garantissent la conformité de L’œuvre â faire à un système de formes accepté comme pertinent dans la classe de récit adoptée, le modèle propose des procédures plus restreintes et plus contraignantes. Dans le cas du Tasse, le modèle était l’Énéide, et nous verrons plus tard l’importance de ce fait dans l’histoire de l’élaboration du texte. Il est rare que le modèle soit indiqué, déclaré comme tel dans le texte, mais il apparaît à des indices assez clairs. C’est ainsi que le premier vers de la Jérusalem délivrée indique clairement le modèle du poème :
Je chante avec les pieux combats le capitaine
rappelle ouvertement « Arma virumque cano ». Souvent, en revanche, il est abondamment justifié métalittérairement dans des écrits critiques. Il faut ici relever une autre différence entre les rapports qui unissent un texte à son genre et ceux qui l’unissent à son modèle ; dans le premier cas les signes de la conformité sont souvent formalisés et institutionnalisés (attaque de poème épique par exemple), dans le second, ils sont plus subtils et constituent souvent un système d’échos*, baptisés réminiscences, et que les chercheurs de l’époque positiviste ont en général exhaustivement décelés.

De la révision
Le cas particulier de la Jérusalem Délivrée est significatif à cet égard. Dans la forme que nous considérons comme seule authentique, bien qu’elle ne soit pas le fruit de la dernière élaboration, nous avons une œuvre qui est achevée, qui fut publiée et qui constitue un texte définitif*. Mais ce texte a été révisé, repris et complètement transformé en un autre, de même sujet et de mêmes intentions, mais de forme et finalement de signification assez différentes. La postérité n’a accepté que la première version. On s’aperçoit en confrontant le Jérusalem Délivrée et la Jérusalem Conquise, que le rapport du texte à lui-même est moins tautologique qu’on le croit généralement ; le texte comme modèle de lui-même n’est pas la forme abstraite et a posteriori que l’on croit, et qui n’aurait pas le moindre intérêt exégétique, encore qu’elle corresponde à un mode de la lecture (celui où la première lecture conditionne les suivantes) ; il est une forme constituée, et non identique à la forme occurrente : on en a la démonstration dans le fait que le Tasse, parti d’une intention de conformité à l’Énéide, a écrit la Jérusalem Délivrée, puis, toujours sur la même base intentionnelle, et repartant d’une forme déjà réalisée, mais jugée partiellement vicieuse, partant d’autre part du même sujet global (ainsi que le démontre la comparaison des octaves initiales) il a réécrit le texte, avec la volonté d’écrire le même texte, mais d’une façon différente[9]. Qu’est-ce qui est ici l’essentiel, que doit préserver et perfectionner l’auteur? C’est certes la conformité du texte à un texte antérieur, à un modèle, et partant, sa « vraisemblance » entendue comme réponse à une attente d’un certain public (nous reviendrons sur ce point important) ; mais c’est également le fait qu’en produisant une seconde version de son texte, l’auteur indique clairement les zones à réduire dans le premier texte déjà livré au public ; avec le second, il propose le quasi modèle perfectionné de son texte, celui auquel le premier texte ne répondait qu’imparfaitement ; une confrontation de détail des deux textes permet de rendre compte de bien des motivations de cette réduction[10] ; mais comme nous considérons qu’il y a intérêt à prendre le vraisemblable comme principe formateur général et non comme série de justifications métalittéraires, nous délaisserons cette recherche qui’ déborderait les limites de notre étude.

mécanismes d’action du vraisemblable
Culture et discours
Ces indications préliminaires avaient pour intention de permettre d’aborder quelques remarques sur le fonctionnement des mécanismes du vraisemblable. Ce qu’il faut voir tout d’abord, c’est que les justifications, globales ou de détail, sont les signes plus ou moins apparents, et diversement explicités et formalisés, de la référence à un autre élément discursivisé de la culture que le texte s’assimile au fur et à mesure de sa constitution ; autrement dit, le texte destitue peu à peu la réalité comme comportement, en la constituant, en même temps qu’il se constitue, comme discours.

De la particularité
Les mécanismes de fonctionnement du vraisemblable peuvent varier et se manifester, dans le détail, de façon différente selon les individus, les époques, les genres. On conçoit qu’il soit surtout important de mettre en relief des mécanismes généraux qui permettent d’étudier ensuite dans le détail des œuvres particulières ; aussi les exemples qui seront allégués à partir de la Jérusalem Délivrée ne doivent-ils pas être considérés comme la base et le point de départ du raisonnement, mais comme des illustrations commodément regroupées : un texte en effet peut fort bien ne présenter que quelques-uns des modes de fonctionnement que nous allons indiquer ; la Jérusalem Délivrée, elle, les présente presque tous*.

Relativisation du texte
Si les manifestations varient presque à l’infini, les principes moteurs sont pratiquement identiques dans tous les cas il s’agit toujours d’une tentative de relativisation de l’absolu du texte.* Le texte cesse ouvertement (et à nos yeux, illusoirement) d’être sa propre et sa seule justification, et indique celle-ci, apparemment, dans d’autres systèmes régulateurs du comportement humain (lui-même discursivisé, sinon textualisé). Il n’est pas question de mettre en doute l’existence, voire la légitimité de ces justifications externes ; il faut seulement cesser de privilégier ces accrochages à l’extérieur, et de croire que l’on a rendu compte d’un texte en ayant épuisé ses tenants et aboutissants, assortis de quelques remarques plus ou moins justifiées et ordonnées sur la valeur esthétique du texte. On a certes rendu compte de ce qui dans le texte est ouvertement tourné vers le dehors, mais c’est toujours en fonction de systèmes extra-textuels (celui de l’auteur, celui du critique), qui sont des variables alors que le texte est un invariant.*
Aussi faut-il tenter de déceler les mécanismes qui jouent pour permettre aux motivations extra-textuelles de se muer en principes constructeurs ou destructeurs d’un texte, mais aussi pour permettre au texte de « passer » vers l’extérieur.

Signalisation
Le premier mécanisme est celui de la signalisation ; c’est le plus général et il recouvre tous ceux que nous allons ensuite indiquer. Il est certes difficile de rendre compte de ce caractère de façon assez générale, d’une part parce que c’est le plus souvent dans le détail des articulations de l’œuvre qu’il se manifeste, d’autre part parce que c’est précisément sur le détail de ces justifications et de leurs signes que s’est attardée la critique et l’exégèse, ce qui fait que trop souvent on a ignoré des possibilités réelles de généralisation. Il semble que deux processus fonctionnent peut-être successivement : la déclaration et la naturalisation. Pour ne prendre qu’un exemple assez net, nous citerons les indices de l’unité de temps dans la tragédie classique ; ceux-ci sont également inclus dans le discours, c’est-à-dire dans le dialogue. Leur plus ou moins grande visibilité doit être considérée et elle l’a été assez souvent, comme un signe (second) de la conscience, chez l’auteur, du caractère conventionnel, sinon artificiel, de la concentration de l’action ; par ailleurs, les abondantes justifications métalittéraires (préfaces de Racine ou de Corneille) corroborent cette impression ; en un second temps, à l’époque romantique par exemple, pour ne citer que le cas le plus manifeste, cette unité de temps, récusée dans les intentions métalittérairement exprimées, est détruite, mais ses signes, ne sont pas détruits, ils sont simplement tournés en sens contraire (v. Ruy Blas, Acte iv, sc. 2). On peut rappeler ici les pertinentes remarques de Tomachevski :
« Grâce à son caractère traditionnel, nous ne percevrons pas l’absurdité réaliste de l’introduction traditionnelle de motifs [...] Quand une école poétique fait place à une autre, la nouvelle détruit la tradition et conserve, par conséquent, la motivation réaliste d’introduction de motifs. C’est pourquoi toute école littéraire s’opposant à la manière précédente inclut toujours dans ses manifestes sous quelque forme que ce soit une déclaration de fidélité envers la vie, envers la réalité » [11].
Il faut veiller ici à ne pas confondre deux niveaux ; c’est toujours au nom du vraisemblable de la matière qu’est défendue ou attaquée l’unité de temps ; mais c’est à l’aide des mêmes moyens que dans la tragédie classique que le déroulement du temps est indiqué. Cependant, la confusion s’opère généralement au niveau de la conscience de l’auteur, et c’est le caractère non naturel des signes qui est invoqué pour justifier l’instauration de faits matériels qui, eux, seront déclarés d’une façon tout aussi peu naturelle. C’est ce que Tomachevski appelle « la substitution des conventions anciennes, perceptibles comme telles par d’autres qui ne sont pas encore perceptibles comme canons littéraires »[12]. D’ailleurs, pour mieux rendre compte du caractère conventionnel d’une telle règle il suffit de voir, que si l’on pose comme un des fondements du vraisemblable le rapport : « temps de la représentation peu différent de temps de l’action », un drame romantique est moins « vraisemblable » qu’une tragédie classique, ainsi que le remarque Boileau critiquant Lope de Vega (Art poétique, iii, 41-42) :
Là souvent le héros d’un spectacle grossier,
Enfant au premier acte est barbon au dernier.
On peut même penser que c’est lorsque les signes se naturalisent qu’apparaît le besoin de nouveaux signes, et qu’alors, pour modifier ceux que l’on ne peut plus restituer tels quels parce qu’ils se sont usés, s’instaure inconsciemment un processus de remise en question de ce que l’on croit être le fondement matériel des signes. Cela prouve combien la littérature a de peine à constituer le statut de son autonomie et de quelle façon elle se forge les instruments de son aliénation à d’autres systèmes, particulièrement ceux d’un comportement social conventionnel, discursivisé, sans lien souvent avec la pratique sociale véritable, mais qui se soumet – c’est le point important – aux mêmes types de sanctions qu’elle (exclusion, correction, etc.). On pense à ce fait curieux que le poète est considéré comme un fou, dans une société qui enferme ceux-ci comme des délinquants.



Restriction
C’est là que nous arrivons à des mécanismes plus diversifiés, bien qu’ils soient au fond aussi généraux. Le mécanisme de restriction est tout à fait apparent, au point que c’est presque une évidence de le décrire : seules certaines de ses conséquences sont moins évidentes. La restriction n’est autre que la réduction du nombre des possibles du texte ; il ne s’agit pas ici de supputer les possibilités d’occurrence de telle séquence à la suite de telle autre (encore qu’une telle recherche soit parfaitement du ressort d’une étude de signes), mais plutôt de considérer le texte, non dans le sens projectif qu’implique la notion que nous venons de définir, mais dans un sens rétrospectif qui correspond d’autre part à un certain mode de lecture (la relecture, qui est le cas général, même lorsqu’elle ne se réalise pas matériellement et qu’on se borne à « penser » au texte). En effet, de ce point de vue, la restriction des possibles au fur et à mesure que le récit avance (et finit par se décider) a une incidence double ; tout d’abord, chaque fait, conséquence des précédents (post hoc = propter hoc), fonde ceux-ci tout comme il est fondé par eux : le mécanisme du récit joue dans les deux sens[13] ; d’autre part, et c’est un fait plus intéressant dans cette perspective, le récit constitue le raconté en possible, mais (sans rapport avec une notion extra-littéraire du vrai et du possible) en possible textuel ; et si de ce point de vue (qui ne se confond pas entièrement avec la cohérence interne, tant il est vrai que c’est une tendance enracinée de réduire a la logique un récit « décousu ») tout texte est vraisemblable par cela même qu’il est un texte, il faut aussitôt ajouter que c’est parce que ce vraisemblable se mue en réel : le droit se mue en fait par la seule existence du fait, ce qui montre que la littérature est un comportement autonome qu’on aura intérêt à ne pas automatiquement rattacher à d’autres systèmes de comportements et de jugements du comportement. C’est que le texte réalisé s’oppose explicitement ou – c’est le cas général –implicitement à d’autres qui ne le sont pas, qui sont exclus par la constitution du texte qui se fait (il ne s’agit pas de genèse, le texte continuant à « se faire » bien après son achèvement matériel). Dans certains cas le jeu des possibles est longtemps maintenu, comme dans le roman policier, où les « fausses pistes » constituent autant de « possibles » et de « provisoirement vraisemblables », pour être ensuite dévalorisées par la « vérité ». Dans le Crime de l’Orient-Express, d’Agatha Christie, on voit même une solution « vraisemblable », le possible imaginé par les douze assassins-justiciers, prendre le pas sur la « vérité », pour des raisons qui reposent sur la contestation d’un système par un autre (la Justice l’emportant moralement et matériellement, sur la justice) : Hercule Poirot, d’ailleurs, cautionne ce vraisemblable pour en faire la version « officielle » des faits. D’autres exemples nous sont fournis par J. L. Borges, dont à vrai dire toute l’œuvre pourrait constituer une base pour l’examen de ce problème. Une première solution est proposée dans le roman d’Herbert Quain, April March, mais c’est dans « Le jardin aux sentiers qui bifurquent » (Fictions) que Borges va jusqu’au bout d’une hypothèse possible : « En toute fiction, chaque fois qu’un homme se trouve en face de diverses alternatives, il opte pour l’une d’elles et élimine les autres ; dans celle du presque inextricable Ts’ui Pên, il opte – simultanément – pour toutes » (p. 107, éd. Emecé). Le roman devient ainsi une prolifération de temps contradictoires, qui échappe à la notion de vraisemblance. Ce qui est important, c’est que dans tous les cas le possible non réalisé (dans le discours) devient impossible, et par là même, par une sorte d’entorse logique, invraisemblable. Dans la Jérusalem Délivrée, la guerrière Clorinde, bien que païenne, ne se distingue en rien, par la bravoure et la courtoisie, d’un champion chrétien ; aussi se trouve-t-elle « récupérée » au prix d’une histoire mélodramatique (d’origine chrétienne, elle a été élevée dans la religion musulmane) ; sa conversion de dernière heure complète cet ensemble de signes réitérés du manichéisme voulu mais constamment enfreint par le Tasse. Dans ce cas, un possible différent est proposé, puis écarté (des guerriers païens sans reproche).
Mais en fait, cette restriction du possible ne serait qu’un caractère banal parce que trop général, de l’œuvre littéraire, si elle ne s’accompagnait de mécanismes moins évidents.

Inclusion-exclusion
L’un de ceux-ci est ce que nous appellerons inclusion-exclusion, et que l’on pourrait appeler aussi insertion. Elle se manifeste souvent de manière embryonnaire, sous une forme purement négative : un possible est proposé, et aussitôt écarté : qu’il s’agisse d’une hypothèse « absurde » rejetée souvent par un « mais non, ce n’est pas possible », et qui un instant semble orienter le texte vers un déroulement qui ne reçoit pas de réalisation (roman policier), ou d’autres formes, qui peuvent être l’ellipse (suppression ou concentration d’un récit) ou la prétérition (je ne dirai pas, car...). Mais assez souvent, ce phénomène se mue en un principe de structure ambigu, qui insère dans le texte après une justification négative ou aliénée, des éléments qui seraient « normalement » c’est-à-dire en fonction des prémisses structurelles du texte, à écarter. Si l’on rappelle par exemple la première octave de la Jérusalem Délivrée citée, on se rend compte que, si l’épisode de Renaud et Armide peut être intégré comme développement de ces vers :
     et sous les saintes
enseignes ramena ses compagnons errants.
des « épisodes » tels que celui d’Olinde et Sophronie ou d’Herminie chez les bergers ne le peuvent pas ; et il n’est pas étonnant que dans la refonte de la Jérusalem Délivrée en Jé7usalem Conquise, ces épisodes aient disparu. Toutefois, ce qu’il faut remarquer, c’est qu’après des justifications qui sont généralement, et non à tort, interprétées comme des concessions aux lois du « genre », les fragments ou « textes » en question sont insérés dans le récit dit « principal ». C’est ce dernier terme d’ailleurs qui nous permettra de nous rendre compte d’un vice assez courant dans la critique, et qui consiste justement à opérer des délimitations entre parties principales et parties connexes, voire parasitaires et autonomes. C’est prendre pour argent comptant les justifications aliénées de l’auteur ; il est en fait certain, encore que difficilement démontrable au point où nous en sommes, que l’insertion de tels fragments répond à une nécessité structurelle du texte, et non à un simple caprice, même baptisé « nécessité intérieure », de l’auteur qui céderait ainsi àun désir passager de « dire ce qui lui tient à cœur » (tout auteur a toujours mené de front plusieurs œuvres, et il est naïf d’imaginer qu’il est incapable d’insérer « ce qu’il a à dire » ailleurs qu’à sa meilleure place, cédant à la tentation immédiate de « placer » telle séquence dans un organisme qui, non seulement pourrait se passer de cette adjonction, mais en serait en quelque sorte perturbé). Il reste que l’on doit tenter, au moyen d’un examen de détail de diverses œuvres, de pénétrer les raisons d’inclusion comme d’exclusion des passages qui semblent avoir quelque difficulté à entrer dans le tissu général de l’œuvre telle qu’elle est habituellement perçue : à ce titre, les Cc charnières », ou séquences discursives d’accrochage peuvent être instructives. Si nous prenons l’exemple de l’épisode d’Olinde et Sophronie, nous voyons de quelle façon est réduit le hiatus entre épopée et idylle-élégie.
Une image de la Vierge est placée dans une mosquée par le mage renégat Ismène qui
… souvent par un usage profane et impie
il confond les deux lois qu’il connaît mal . (ii, 2, 3-4)
Cette image est volée, et le roi Aladin menace les chrétiens de Jérusalem d’extermination. C’est alors qu’intervient Sophronie, annoncée par ces vers :
Mais le timide peuple, irrésolu,
d’où moins il l’attendait a reçu son salut  (ii, 13, 7-8)
L’improbabilité du fait est ainsi artificiellement détruite par sa seule dénonciation discursive, elle se soustrait à la critique, et l’épisode répond apparemment à l’exigence formulée par le Tasse lui-même : « L’épisode est donc ou vraisemblable ou nécessaire » (DPE, iii, p. 148). Après cet enclenchement de l’épisode, le Tasse, sous forme (institutionnalisée) de récits d’antécédents, consacre trois octaves (14-16) à l’amour malheureux d’Olinde, qui donne sa tonalité élégiaque à l’ensemble de l’épisode.
Il resterait à dresser un inventaire de ces formes incluses-exclues, mais celui-ci est impossible à établir en général, et dépend étroitement de l’ « époque », de l’œuvre et de son « genre », de la teneur enfin du passage inséré. On peut toutefois en citer quelques-uns. Le récit, dans la tragédie, permet de mettre sur scène, par le discours, des faits inconvenants ou invraisemblables (la mort d’Hippolyte, par exemple, où intervient un monstre, à une époque qui répudie les tragédies à machines). Les « discours », dans un poème épique interrompent la marche du récit pour introduire provisoirement un élément dramatique (un personnage parle, et le texte de l’auteur et celui du personnage coïncident un moment). Toujours dans le poème épique, les considérations personnelles de l’auteur (décelables en tant que telles à divers signes) peuvent se confondre avec le discours d’un personnage, comme c’est le cas pour la nymphe qui s’adresse à Renaud (xiv, 62-64) ou l’oiseau parleur du jardin d’Armide (xvi, 14-15) ; (dans ces deux cas, la coïncidence avec d’autres textes, lyriques, du Tasse, fait foi de l’identité des deux discours). Elles peuvent être concentrées en un point fixe de chaque section de texte (les introductions des chants du Roland Furieux), ou imprévisiblement dispersées, comme c’est le plus souvent le cas chez le Tasse
Périssent les cités, périssent les royaumes,
couvrent fastes et pompes le sable et les herbes,
et l’homme d’être périssable paraît s’indigner ! (xv, 20, 3-5)
Enfin, se confondant plus ou moins avec ce que nous venons de décrire, les « moments lyriques », qui peuvent aussi bien se manifester dans la tragédie que dans le poème épique ; les stances de Rodrigue ou de Polyeucte sont un moment de suspension où la marche fatale et parfaitement prévue du discours est interrompue et se présente à nouveau comme problématique ; la méditation lyrique et le rêve d’Herminie, étrangère à l’action principale et aux distributions de rôles qu’elle implique structurellement, et par là même étrangère à la vraisemblance, est introduite d’une façon exemplaire qui mérite un bref examen :
Puis contemplant le camp, elle disait :
« Ô combien belles à mes yeux, tentes latines ! » (vi, 104, 1-2)
On voit ici que cet épanchement amoureux, peu acceptable dans le contexte général, est inséré au moyen d’une précaution : si un chrétien ne peut que trouver belles les tentes du camp des Croisés, il n’en est pas de même pour un païen.Aussi Herminie dit-elle « à mes yeux », ce qui la met à part de la distribution binaire des rôles, comme elle le sera dans son refuge pastoral, au chant vii.*

Comparaison
Apparemment fort différente, la comparaison est un mécanisme qui procède de la même attitude restrictive et justificative, principalement lorsqu’elle est alléguée dans un contexte merveilleux. Dans son principe, la comparaison de vraisemblance, si l’on peut dire, est une justification explicite, une sorte d’excuse, qui, pour faire admettre un détail difficilement acceptable, ramène le donné du texte à un autre système que celui que manifeste le texte. Il s’agit le plus souvent de réduire le surnaturel au naturel, par le seul langage, et, de ce fait, l’irréel du texte présent au réel d’un autre discours connu (textualisé ou non). On voit de la sorte l’ange Gabriel :
il ceignit d’air son invisible forme
et aux sens des mortels la rendit accessible.
Il se forma membres humains, humain aspect,
mais l’empreignant d’une céleste majesté ;
il choisit l’âge entre l’enfance et la jeunesse,
et orna de rayons sa blonde chevelure.

De blanches ailes se vêtit, aux pointes d’or,
infatigablement agiles et alertes.  (i, 13,3-8-14, 1-2)
De même Alecto se déguisera-t-elle (ix, 8) en une sorte de Mentor négatif. Ces deux passages, et d’autres analogues, ramènent explicitement les êtres surnaturels dans le système de perception courant. Dans d’autres cas, la comparaison présentée comme telle produit le même effet le combat de Trancrède contre le renégat Rambaud de Gascogne (vii, 31-45) a lieu dans un cadre enchanté
……………………..et pour ce que le jour
s’était éteint au point qu’on y voyait à peine,
alentour apparurent tant de lampes
que l’air devint lumineux et limpide.
Le castel resplendit comme une scène altière
dans les pompes nocturnes d’un riche théâtre,
et en un lieu surélevé Armide siège,
duquel sans être vue elle voit et entend. (vii, 36, 1-7)
Ailleurs (xvi, 2-7) la description des portes d’argent sculpté du palais d’Armide comporte des notations de couleur qui font penser que cette sculpture prodigieuse où
En face est une mer ; et d’un flot blanchissant
vous voyez écumants ses champs céruléens (xvi, 4, 1-2)
pourrait avoir pour référence une tapisserie.
On voit ainsi que les modes de la comparaison, explicite ou implicite, reposent sur la situation culturelle ; qu’il s’agisse de références textuelles, ou de simples références à un contexte non discursif (goût du théâtre ou des tapisseries àFerrare), il y a grand intérêt, historiquement, à les identifier pour donner un tableau complet d’une œuvre. Sur le plan sémiologique, il faut remarquer qu’encore ici, il s’agit d’un processus qui réduit l’autonomie de la littérature. À cet égard, on peut dire que la comparaison, dans ce cas, est l’inverse de la métaphore lyrique, qui, elle, tend à déréaliser le réel par la référence à un système parfois difficilement identifiable.
Censure
Signalisation-justification, restriction, inclusion-exclusion, tous ces termes appellent celui de censure, car dans tous les cas on a à la fois absence et présence d’un élément masqué et décelé par cela même qui le masque, avec des processus d’évasion qui se rattachent, au niveau même de la nomenclature critique, au rêve. La censure joue en deux sens contraires, d’abord pour exclure un élément du récit jugé « non conforme », et puis, plus subtilement, pour effacer la lisibilité d’une inclusion problématique. Le premier mécanisme a été défini plus haut et dépend étroitement de ce que nous appelons pour la commodité une situation culturelle ; mais le second mode ne dépend pas moins de celle-ci, et il faudra peut-être partir des justifications de l’inclusion-exclusion pour comprendre les mécanismes qui servent à déjouer la censure. Il faut préciser en passant que les raisons de cette censure peuvent très bien être, et sont assez souvent, acceptées par l’écrivain même, qui n rarement une entière conscience de la teneur et du statut de ses infractions. On peut citer, comme exemple de ce mécanisme, le cas du conffit entre « genre » et « modèle » ; pour la Jérusalem Délivrée, le modèle est l’Énéide et le genre le poème épique ; mais ce qui est étrange, et devrait induire à des recherches plus poussées, c’est que, à partir d’une théorie fondée sur certaines œuvres (les poèmes d’Homère), ces mêmes œuvres soient ensuite jugées plus ou moins conformes aux exigences théoriques ; ce cercle vicieux se retrouve dans le cas de la Jérusalem Délivrée ; si l’Énéide est le modèle, des corrections sont jugées nécessaires au nom de la vraisemblance et de la bienséance, et notamment en ce qui concerne le merveilleux et tous les actes de la religion on voit là clairement dans quel sens joue le mécanisme : la notion de genre, dégagée des modèles, devient autonome, évolue pour son compte en fonction d’exigences extra-textuelles, et se transmue de telle sorte qu’elle fournit à la fois un schéma directeur pour la composition d’œuvres nouvelles et un mètre d’appréciation pour les œuvres déjà produites. Et ce qui est important, c’est que ce mètre est négatif dans son principe : il porte exclusion de certains caractères du modèle qui ne devront pas se retrouver dans l’œuvre seconde, et entraîne un jugement négatif, une tentative d’oblitération qui porte sur des éléments présents dans le modèle on voit que la notion d’imitation réagit de curieuse façon sur le modèle à imiter, et repose sur une sélection largement négative de caractères jugés imitables. Ainsi la Jérusalem Délivrée deviendra-t-elle Jérusalem Conquise, avec des intentions avouées de la part du Tasse de se conformer plus étroitement au modèle virgilien, assorties d’une affirmation plus lourde d’allégeance aux principes catholiques de la Contre-Réforme.

Insuffisance du texte
Dans tous les cas, les mécanismes de constitution du vraisemblable apparaissent comme la réponse à un besoin de justifications auxquelles les prémisses mêmes du texte (bien qu’elles soient souvent partiellement extra-textuelles) ne suffisent pas. Le système du texte n’est pas senti comme autonome, il est soumis à d’autres systèmes, au nom d’exigences qui peuvent s’exprimer en termes pratiques : plaisir (harmonie, complétude, unité), instruction (conformité à une idéologie, incitation à un comportement non discursif, etc...). Toutefois, dans la mesure où certains textes sont donnés comme premiers ou parfaits, on pourrait croire que là se trouve un germe de désaliénation et de fermeture sur lui-même du système littéraire ; mais, la notion de modèle devient inacceptable dans ce cas, car elle implique la conscience d’un mécanisme de communication et d’échange qui n’est peut-être pas le propre du langage littéraire, ni sa fin première (la question reste ouverte). C’est cet aspect d’ouverture qu’il s’agit de voir maintenant.

La communication
Contact
Il devient très vite inéluctable, lorsqu’on parle de langage, et même de littérature, de parler de communication, même si la communication n’est pas évidemment la fin première et principale de l’œuvre littéraire, du moins pas selon les modes habituels du langage courant.* Nous avons posé que le « vraisemblable » entre autres facteurs, constitue un mécanisme de relativisation de l’absolu du texte. Nous avons indiqué, sur le plan discursif, certains facteurs et décrit quelques mécanismes de cette relativisation ; mais ce qu’il convient de définir, c’est la raison de cette nécessité. En fait, le vraisemblable, défini comme ce qui est conforme à l’opinion du public[14] 1, doit l’être au niveau sémiologique, comme un mode de contact entre l’auteur, ou son texte (peu importe ici, car par hypothèse nous identifions comme auteur celui qui a produit l’œuvre, même si elle ne correspond qu’imparfaitement à ses intentions et si l’auteur a produit d’autres œuvres) et le lecteur.
Le vraisemblable comme système de justifications fait appel à une identité de jugement entre l’auteur et le lecteur sur le texte, ou s’efforce de la constituer ; comme le lecteur n’est censé lire que le texte, c’est celui-ci qui contient les signes de sa conformité. Celle-ci joue sur d’assez nombreux registres idéologiques et formels : religieux, politiques, voire scientifiques, qu’il serait long d’énumérer et de définir, mais elle met en jeu des mécanismes généraux qu’on peut indiquer schématiquement.

Perception
Tout contact par le langage repose sur la perception qui doit être aussi exacte que possible. Ce point a été empiriquement développé par de nombreux écrivains et il détermine des caractères structurels très importants. La notion de vraisemblable y joue un rôle éminent, à côté d’autres comme la mémoire (qui règle l’étendue du texte : « de même que l’œil est juge exact de la grandeur du corps, de même le jugement de la quantité des poèmes appartient à la mémoire », (DPE, iii, 125 ; DAP, ii, p. 21). Il s’agit essentiellement de rendre le texte le plus perceptible possible : on voit quel rôle les notions de genre et de modèle peuvent avoir dans cette conception : celles d’archétypes, de modèles partiellement abstractisés qui servent de guide au lecteur. Mais la singularité même est régie par les mêmes règles. Il est entendu que l’originalité peut en gros, au temps du Tasse, et largement encore aujourd’hui, être celle du sujet ou celle de la façon de l’exposer. Or, si l’on prend le sujet du poème épique, dont a parlé le Tasse, on s’aperçoit qu’en dehors de questions de conformité au genre, le choix n’est pas absolu et libre. En bref, il est relatif, d’une part à d’autres textes et à ce que le lecteur peut en savoir (on trouve l’attitude inverse dans la falsification romantique qui consiste à prétendre « découvrir » des textes inconnus et à les présenter comme tels (c’est le cas d’Ossian, ou de Mérimée pour le Théâtre de Clara Gazul), d’autre part à toute une situation historique et culturelle. Le Tasse a défini les conditions que doit remplir le sujet d’un poème épique. On y trouve encore la référence aristotélicienne, commune à la critique italienne du temps, à l’histoire comme vrai garantissant le vraisemblable.
Donc, puisque l’histoire est narration selon la vérité d’actions humaines mémorables qui sont advenues, et la poésie narration selon la vraisemblance d’actions humaines mémorables possibles à advenir... on n’aura une parfaite et convenable connaissance de la poésie par l’art poétique... si d’abord on n’a une connaissance accomplie et distincte de l’art historique.[15]
Le mécanisme consiste à ne pas produire des possibles nouveaux, qui, par leur nouveauté, ne serait pas perçus (et le retard de la critique qui ramène l’inconnu au connu et décèle rarement la nouveauté d’une œuvre prouve le bien-fondé pratique d’une telle attitude) ; ou plutôt, il s’agit dans la conscience de l’auteur, de ne pas troubler l’attitude de réceptivité du lecteur, fondée sur le déjà connu (et l’aristotélisme se teinte alors d’une nuance de platonisme).


Prévisible et nécessaire
Cette réceptivité se mue en attente, et sur le plan du texte, joue de la prévisibilité. Celle-ci repose sur un certain nombre de prémisses, dont nous avons indiqué quelques-unes ; le déroulement historique global est connu, et les modifications apportées le sont au nom d’autres principes dont on attend le respect, comme la « nécessité » psychologique ou morale.
Il y en a qui ont pris même le parti de Néron contre moi. Ils ont dit que je le faisais trop cruel. Pour moi, je croyais que le nom seul de Néron faisait entendre quelque chose de plus que cruel. » (Racine, Britannicus, 1ère Préface, c’est nous qui soulignons.)
C’est notamment, dans le cas présent, le manichéisme religieux chrétiens-« païens ». La prévisibilité est ce que l’on pourrait appeler l’aspect potentiel de la cohérence, dont la « nécessité » est un cas particulier. C’est à ce point que nous percevons l’esquisse d’un mécanisme de libération du texte, souvent justifié par des raisons pratiques (plaisir). Le parfaitement prévisible n’est autre que le trop conforme, le trop vraisemblable ; c’est le fruit d’une assimilation trop parfaite du discours diffus extra-textuel, d’un mimétisme trop complet, (analogue à celui dont parle Borges, sur un plan purement textuel, dans Pierre Ménard autor del Quijote). Par là, il détruirait toute singularité, et tout intérêt chez le lecteur, faisant avorter le processus de perception. Aussi les théoriciens, dont le Tasse, réclament-ils que le texte ait de la variété dans son unité. La diversité, dit le Tasse, « je l’estime et très délicieuse dans le poème héroïque à obtenir » (DAP, ii, p. 35 ; DPE, iii, p. 139). Mais qu’est-ce que la variété, sinon un élément inattendu (par son contenu ou sa localisation dans le texte)? De là les insertions dont nous avons parlé, et qui ont parfois une intention pratique (donner du plaisir au lecteur, ou comme dans les romans policiers, l’égarer provisoirement) ; dans tous les cas, il s’agit, non d’une déception de l’attente,car on sait par exemple, dans les romans policiers, que la solution ne peut être donnée avant la page 240, en fin de compte l’élément de récit attendu (nécessité) se manifestera, mais différé, fait qui est producteur de plaisir, car l’attente est à la fois déçue et satisfaite : on comprend alors les entreprises (difficilement justifiables à partir d’instruments critiques modernes) comme celles qui consistent à juger d’une œuvre par rapport à une autre de là toute une critique de la comparaison, comme celle qui confronta à perte de vue le Roland Furieux et la Jérusalem Délivrée, aussi bien que Racine et Corneille, et qui n’est pas différente de l’attitude du lecteur de romans policiers qui lit des romans de Chase ou de Fleming[16] en étant assuré qu’il y trouvera toujours les mêmes ingrédients, ou du spectateur de films qui portent des titres analogues ou sont joués par les mêmes acteurs.
La réalité est ici que le fait littéraire tend à se refermer (il ne s’agit pas d’un jugement de valeur), non pas sur sa littérarité, mais sur ce qui lui est extérieur, ce qui fait que certaines œuvres jouissent d’un succès considérable pour ensuite, très vite, « dater » ; dans les Promessi sposi de Manzoni, on voit des hobereaux entichés d’étiquette chevaleresque se lancer à la tête des raisons tirées non d’un traité mais de la Jérusalem Délivrée, et le Tasse est pour eux un grand poète dans la mesure où il a exprime une realité qui les intéresse dans un texte qui devient une autorité ; ce passage de la littérature au comportement, même s’il est rarement décelable du fait qu’il est rarement textualisé, est de grande importance, non seulement pour les mœurs (les films de violence qui « donnent des idées » aux jeunes gens), mais aussi pour la littérature ; il montre que si par exemple un autre auteur, jugé par nous médiocre, avait mieux et plus complètement que le Tasse exposé les règles de la chevalerie, les hobereaux de Manzoni l’eussent jugé un meilleur écrivain[17].

Ouvertures
On voit ainsi que le vraisemblable enferme le texte dans un rapport ambigu, qui est bi-univoque, dans la mesure où un auteur conditionné – non déterminé – par un contexte diffus et amorphe, s’adresse à un lecteur lui-même conditionné en un premier temps par le même contexte, et, s’adresse à lui, explicitement ou implicitement, sur la base partiellement exclusive de ce qui leur est commun, à savoir ce contexte lui-même. Il existe souvent des tentatives d’ouverture, qui restent la plupart du temps embryonnaires et illusoires, car d’une part elles sont rapidement résolues, résorbées, et d’autre part elles se constituent, souvent comme le simple passage à un autre « genre ». Le Tasse écrit (DAP, ii, p. 38 ; DPE, iii, p. 144). « D’une seule épopée on peut tirer de nombreuses tragédies », et l’on peut dire qu’il a pris soin d’isoler partiellement quelques-unes de celles-ci. Il s’agit la plupart du temps d’inclusions-exclusions comme celles que nous avons citées, et dont le caractère peu compromettant est accru par le fait qu’elles sont institutionnalisées (récit dans la tragédie, épisodes en tant qu’éléments structurels dans le poème épique). Dans tous ces cas, l’ouverture est illusoire mais ailleurs, et précisément là où elle est plus radicale, elle est marquée comme extérieure et irréductible, et par là justifiée dans l’ensemble du texte, ramenée au système du vraisemblable ; ainsi les épisodes d’Herminie chez les bergers (ch. vii) et de Renaud dans l’île d’Armide (Ch. xvi) reposent-ils sur une négation globale d’un des systèmes de soutènement du texte. Pour Herminie, c’est la critique des cours, et de leur système de valeurs (à entendre sur le plan textuel comme exclusion pro visoire du genre épique et de ses conventions) qui excuse et permet d’insérer la pastorale ; pour la vraisemblance, les cours critiquées sont des cours païennes, mais par ailleurs, le personnage d’un païen vertueux et heureux (le berger) détruit le manichéisme fondamental du poème, ce qui explique que cet épisode ait été supprimé dans la Jérusalem Conquise. Pour Renaud, c’est l’oubli consécutif à l’opération de la magie qui permet d’insérer l’idylle dans l’épopée ; l’épisode est présenté comme un tout, une fois de plus (comme dans le cas d’Olinde et Sophronie) sous la forme d’un récit d’antécédents
Vous entendrez encor comme elle poursuivit
plus tard Renaud, et ce qu’il en advint. (xiv, 56, 7-8.)
Renaud est alors endormi par le chant d’une sirène :
Ainsi chante l’impie, et au sommeil le jouvenceau
invite en ces accents suaves et savants. (xiv, 65, 1-2.)
Le retour à l’épopée se fera au moyen de la comparaison avec le réveil, après qu’Ubald a montré à Renaud un bouclier de diamant (symbole textuel de l’épopée) :
Pendant ce temps, Ubald s’avance, et le luisant
écu adamantin il a tourné vers lui.  (xvi, 29, 7-8.)
Tel un homme accablé par un profond et lourd sommeil
après un long délire en lui-même revient,
tel il devint se contemplant soi-même (xvi, 31, 1-3.)
Un autre exemple est le passage où le Tasse interrompt la revue (Ch. I) pour parler des époux Gildippe et Odoard
Mais où, moi qui d’énumérer suis déjà las,
Gildippe et Odoard, amants époux,
m’emportez-vous ?     (i, 56, 5-7.)
L’idylle marquée en tant qu’évasion partielle hors de l’épopée, l’auteur enchaîne sur l’histoire des deux époux :
Aux écoles d’Amour que n’apprend-on?  (i, 57, 1.)
Et, lorsque ce bref récit sera achevé, le raccord se fera d’une façon encore significative
Mais l’enfant Renaud...     (i, 58, 1.)
qui montre bien le caractère allogène de cette parenthèse.
En fait, ces libertés surveillées ne constituent pas un processus de désaliénation : bien au contraire, elles marquent les étroites limites dans lesquelles sont permises des évasions qui viennent distendre la trame prévisible et nécessaire d’un texte largement prédéterminé dans ses structures.

La désaliénation.
Parodie
Le vraisemblable, dès lors qu’on tente de le saisir non comme justification de détail, mais dans ses mécanismes généraux, est en somme un principe d’intégration d’un discours a un autre ou â plusieurs autres. Par là même il est un facteur d’aliénation. Il faut voir maintenant comment se produit, le plus souvent fragmentairement, la désintégration, la libération du texte par rapport aux différentes couches de l’extra-texte.
Le premier mécanisme est celui de la parodie ou du pastiche ; le texte ou le discours de base y est indiqué de façon très apparente, et souvent détruit de l’intérieur ; le poème héroï-comique, le burlesque, sont des manifestations de cette évasion. En même temps que sont produits les textes amoureux éthérés du Dolce stil Nuovo, Angiolieri ou Rustico di Filippo en écrivent qui sont des parodies, décelées par la surabondance même de la conformité à un genre[18] ; au moment de la grande vogue des romans noirs américains, Boris Vian les a pastichés si parfaitement dans Et on tuera tous les affreux, que souvent, à la lecture, on oublie qu’il s’agit d’une parodie. De ce point de vue, on peut arriver à dire, avec quelque excès sans doute, que de même que Victor Hugo semble se pasticher souvent lui-même, la Jérusalem Conquise, comparée à la fois à la Jérusalem Délivrée et à l’Énéide, finit par ressembler à un pastiche inconscient de cette dernière, par un excès de scrupule dans le démarquage (mais ce n’en est évidemment pas un). En effet, le passage de l’une à l’autre illustre assez bien cette indication de Tomachevski :
La fausse motivation est un élément du pastiche littéraire, c’est-à-dire un jeu sur des situations littéraires connues appartenant à une solide tradition et utilisée par les écrivains avec une fonction non traditionnelle.                                    (op. cit. p. 284)
La « tradition » est dans ce cas celle qui s’institue dans et par le premier texte, et la « fonction non traditionnelle » est à entendre dans ce cas au sens de démotivation littéraire. Il reste que le pastiche est un mode impur et provisoire de libération, dans la mesure où il reste entièrement déterminé par le modèle qu’il exagère : et ce n’est pas un hasard si Boileau a écrit en même temps Le Lutrin (1671) et L’Art poétique (1669-1673). De plus, la parodie dénonce généralement une seule couche de conventions, un seul système de vraisemblance, et ainsi se rattache toujours positivement aux autres couches de l’extra-texte : Le Lutrin par sa peinture des gens d’église se conforme à certains thèmes acceptés de l’anticléricalisme.

Fantastique
Un autre mode d’évasion, plus efficace littérairement, est le fantastique ; il est une évasion, non parce qu’il apparaît comme moms « réalisable » ou possible, ou parce qu’il enfreindrait, par son incohérence, les lois de la nécessité, mais parce qu’il joue sur plusieurs possibles et les entretient longuement ; à ce titre il est le contraire du vraisemblable. Tandis que le vraisemblable rassure, le fantastique inquiète ; alors que le premier mise, comme épreuve décisive, sur l’incroyable et le résout en possible et en acceptable (dans le cas du merveilleux) en le circonscrivant dans des occurrences délimitées, le second mise sur le réalisme (ainsi que l’atteste la minutie de détail des contes fantastiques) et y glisse une faille irréductible. Le vraisemblable tend à réduire les tendances centrifuges du texte, qui poussent celui-ci à se reconstituer en discours autonomes et séparés, généralement pratiques (récit, description, discours éthiques, politiques, etc...), en les soudant au moyen de signes d’inclusion ou d’inclusion-exclusion, ou en institutionnalisant leur intégration. Le fantastique, à tout moment (ce qui détruit à la fois l’institutionnalisation et la prévisibilité) prolonge ces tendances, et tandis que le vraisemblable triomphe dans les solutions, le fantastique s’y perd pour se résoudre, soit en réel, soit en irréel. La zone floue née de la coexistence des possibles se précise et devient univoque : aussi la solution « vraisemblable » d’un récit fantastique est-elle, par essence, décevante. À cet égard, certains contes de Jorge Luis Borges apparaissent comme des exemples de parfaite réalisation du fantastique : l’ « Examen de l’œuvre de Herbert Quain » ou « Le jardin aux sentiers qui bifurquent » (Fictions) entre autres, sont au nombre de ces formes exemplaires du fantastique, qui ne proposent un ou plusieurs sens que pour le ou les détruire.
Tout récit digne de ce nom contient, même s’il le tient caché, à l’écart un tel point de rebroussement, qui ouvre tout un itinéraire insoupçonné à la volonté d’expliquer.[19]
Le récit devient un labyrinthe, d’autant plus mystérieux qu’il est plus « clair » en apparence, parce qu’alors il se conteste plus profondément :
Le récit réel se détermine donc par l’absence de tous les récits possibles parmi lesquels il aurait pu être choisi. (op. cit., p. 284).
On voit que la démarche est l’inverse de la justification par le vraisemblable d’un récit qui fonde un possible unique et exclut tous les autres.
C’est pour cette raison que l’on ne peut que souscrire à la définition de Vladimir Soloviov, cité par Tomachevski :
Voilà le trait distinctif du véritable fantastique : il n’apparaît jamais sous une forme dévoilée. Ses événements ne doivent jamais contraindre à croire au sens mystique des événements de la vie, mais doivent plutôt les suggérer, y faire allusion. Dans le véritable fantastique, on garde toujours la possibilité extérieure et formelle d’une explication simple des phénomènes, mais en même temps cette explication est complètement privée de probalité interne. Tous les détails particuliers doivent avoir un caractère quotidien mais considérés dans leur ensemble ils doivent indiquer une causalité autre. (op. cit., p. 288).
La possibilité « extérieure et formelle », mais privée de « probabilité interne », d’une « explication simple », montre qu’en ce domaine de l’allusion et de la suggestion, les discours constitués ne peuvent servir qu’à dérouter le lecteur (on se rappellera les non-solutions des énigmes policières ou érudites de Borges).

Anti-merveilleux
On peut dire, d’un certain point de vue, que le fantastique est également le contraire du merveilleux : misant sur des ressorts opposés, il ne nécessite aucune préparation narrative et ne peut se formaliser, car il perd alors ce qui fait son caractère propre : l’inattendu et l’insoluble. Ainsi, le merveilleux de la Jérusalem Délivrée a été souvent critiqué comme trop réaliste et assez grossièrement matériel. Maints critiques se sont gaussés des représentations que donne le Tasse du surnaturel ; à propos de Dieu (i,7), Russo parle de « grand vieux » et Momigliano écrit : « Il manque toujours au Tasse le sens du divin... Le divin assuma toujours chez lui un aspect décoratif, théâtral, suscita toujours chez lui des images gigantesques démesurées qui, étant appliquées à un être infini, ne pouvaient que sembler mesquines » (Comm. ad loc.). Que l’on pense aux vers de Boileau (Art Poétique, iii, 199-200 et 203-204) :
De la foi d’un chrétien les mystères terribles
D’ornements égayés ne sont point susceptibles...
Et de vos fictions le mélange coupable
Même à ses vérités donne l’air de la Fable.
On ne peut qu’y voir une condamnation de passages tels que celui-ci où l’on voit l’ange gardien d’un des guerriers chrétiens s’apprêter à le protéger :
L’ange, qui fut jadis le gardien assigné
par la suprême Providence au bon Raymond
depuis le premier jour qu’enfantelet
il passa dans le monde en pèlerin,
maintenant qu’à nouveau le Roi du Ciel lui dit
de se charger du faix de sa défense,
monte à la haute forteresse, où sont de l’ost
divin toutes les armes déposées.

Ici la lance est conservée dont le serpent
frappé fut abattu, et les grands traits du foudre,
et ceux qui invisibles aux peuples
apportent l’horreur de la peste et autres maux ;
et là-haut suspendu se voit le grand trident,
prime terreur des mortels misérables,
quand il vient ébranler jusqu’en ses fondations
la vaste terre, et battre les cités.   (vii, 80-81.)
Ce bric-à-brac (auquel ne manque même pas l’arme bactériologique!) frise le ridicule ; mais Momigliano relève avec justesse que
imaginer au ciel un formidable amas matériel n’est pas selon l’esprit chrétien, mais correspond à ce que l’esprit de la Contre-Réforme avait en soi de sombre et de guerrier, et à ce qu’avait de voyant la peinture sacrée de l’époque » (comm. ad loc.).
 On voit ici le rôle des éléments extra-textuels. En revanche une certaine tonalité fantastique a été souvent reconnue et louée par les critiques, et à juste titre. Les descriptions (fondamentalement réalistes) de la forêt ensorcelée par Ismène (xiii, 21 et 33, xviii, 18-25) ainsi que celle de la sécheresse qui s’abat sur le camp Croisé (xiii, 53-64), qui ne contient guère d’allusions à des faits surnaturels, mais pourrait aisément être réduite à des données météorologiques, reposent sur une disproportion entre les forces de l’univers (peu importe par qui mises en branle) et l’homme :
Éteint est dans le ciel tout bénin luminaire,
Règnent sur lui de cruelles étoiles.   (xiii, 53, 1-2.)
Le soleil ne se lève jamais, que, brouillé et cerclé
de sanglantes vapeurs, en lui-même et autour,
sur son front il ne montre fort distinctement
le funeste présage d’un jour malheureux.  (xiii, 54, 1-4)
Et les conséquences de la sécheresse, présentées en un mouvement rendu visible par une sorte d’accélération, cessent d’être réalistes, bien que rien de surnaturel ne s’y manifeste :
Tandis que ses rayons de là-haut il répand,
où que l’œil des mortels aux alentours se tourne,
il voit les herbes languir assoiffées,
sécher les fleurs et pâlir les feuillages,
et se fendre la terre et s’abaisser les ondes, (xiii, 55, 1-5.)
On pourrait également citer la navigation fantastique de Charles et Ubald dans la barque de la Fortune, qui leur permet, sans qu’aucun mécanisme prodigieux soit matériellement décrit, de voir, grâce à la même accélération discursive, toute la côte sud de la Méditerranée (xv, 9-24). Dans tous ces cas, c’est une sorte de disproportion qui joue et qui donne la tonalité fantastique ; celle de l’individu et de la multitude, celle de la petitesse et de l’immensité, en somme, c’est l’incommensurabilité (souvent reconnue sous le nom de poésie cosmique par les critiques) qui fonde une impression diffuse de fantastique ; on voit à quel point nous sommes exactement à l’opposé du vraisemblable, qui réduit tout au même mètre, et fonde tout son système sur la commensurabilité et le connu.



Lyrisme
Tout aussi imprévisible et évasif que le fantastique, se confondant souvent avec lui chez le Tasse, le lyrisme, en dehors de tout genre (comme l’idylle ou l’élégie) constitue un autre mode d’ouverture du texte. Les citations que nous avons données sont des passages lyriques, tout comme le discours d’Herminie (vi, 104-105). Le lyrisme n’est pas le contraire (déterminé et hybride) du vraisemblable, il est le non-vraisemblable, la seule attitude proprement étrangère à la notion de vraisemblable, en tant qu’il est un discours libéré de toute intégration et de toute justification relative. Sa justification est toujours absolue et la plupart du temps implicite, en tout cas elle est sans lien avec les autres structures du texte. Souvent, une forme lyrique apparaît de façon spontanée et provisoire, pour s’interrompre sans qu’aucune marque visible signale son intrusion dans le discours ; en revanche, le retour du « discours vraisemblable » est souvent marqué. Ainsi la « parenthèse » qui suit le départ d’Argant après son ambassade au camp chrétien :
C’était la nuit, à l’heure où sont en un profond repos
les ondes et les vents, et le monde muet paraissait.
                                                               (ii, 96, 1-2.)
Toute l’octave est ainsi isolée, et le raccord, ici aussi, se fait par un signe adversatif
Pourtant le camp fidèle, et non plus le chef franc
                                                                    (ii, 97, 1)
Dans ce cas, la notion de vraisemblable est non pertinente, et le passage lyrique n’a pas besoin de justification pour s’intégrer au tissu du texte. Si l’on prend par exemple le cas d’Herminie chez les bergers ou de Renaud sur le Mont des Oliviers, on s’aperçoit que ces passages vont à l’encontre des justifications globales de la Jérusalem Délivrée ; le fait qu’un païen soit bon et heureux, ou l’attitude nouvelle de Renaud, (que l’on compare i, 58 et xviii, 13-14) sont presque « invraisemblables » étant données les prémisses du poème, où tous les païens sont méchants et par conséquent malheureux, et Renaud violent. La confrontation des deux passages concernant Renaud est extrêmement significative :
Mais l’enfant Renaud, au-dessus de ceux-ci,
au-dessus de tous ceux en revue amenés,
féroce avec douceur vous le verriez dresser
son front royal, et tous ne regarder que lui. (i, 58, 1-4).
Ainsi pensant, aux cimes les plus hautes
il s’éleva, et là, s’inclinant déférent,
exalta sa pensée jusqu’au-dessus du ciel
et fixa ses regards vers l’Orïent. (xviii, 14, 1-4).
Le parallélisme inverse est complet : « au-dessus de ceux-ci » vs « au plus haut des cieux », « doucement superbe » vs « humblement prosterné », « élever son front royal » vs « il éleva ses pensées », « tous ne regarder que lui » vs « il fixa ses yeux sur l’orient ». Renaud, de centre, devient partie de la circonférence, et rentre dans la distribution manichéenne du poème. Mais ce qui est très important, c’est que l’instrument de sa réintégration est le langage ; le renversement verbal (fonctions différentes des mêmes éléments dénotatifs) restitue le personnage au système du vraisemblable, dont il avait été tenu à l’écart, devenant ainsi un élément dynamique de l’action. L’invraisemblance provisoire de son comportement est réduite grâce à la réaction des mots sur eux-mêmes. On peut comparer ce procédé à celui de l’inclusion-exclusion de l’épisode d’Olinde et Sophronie ; dans le cas de Renaud, la réintégration est scindée en deux parties, pour des raisons structurelles qui apparaissent clairement (ce n’est pas un épisode*, mais un des fils du récit) ; la différence est celle d’une forme de langage directe et d’une forme métalinguistique. La confrontation des deux passages que nous venons de citer montre que le second annule le premier par sa formulation, tandis que dans le cas de l’épisode d’Olinde et Sophronie, c’est un commentaire du narrateur qui remplit cette fonction. Mais dans les deux cas, le phénomène est purement discursif et ne modifie en rien les « événements ». On peut constater que ce retour au système du vraisemblable succède à un passage lyrique, introduit de la même façon que le passage (ii, 96) cité plus haut
C’était à la saison où encore ne cède
libre passage à ses confins la nuit au jour (xviii, 12, 1-2.)
L’accrochage, dans ce cas, se fait d’une façon particulière, du fait que le lyrisme repose sur la religiosité, et ne s’oppose pas fortement au passage suivant : on ne passe pas du discours à l’action, mais du discours du narrateur au discours du personnage, la différence est marquée par l’emploi successif (constant dans cescas) de l’imparfait et du présent, d’une part et du passé simple d’autre part, mais l’articulation n’est pas adversative : « C’était à la saison où encore ne cède … Ainsi pensant … il s’éleva ».
La comparaison, dans les passages lyriques, est en quelque sorte l’inverse de celle que nous avons décrite ; il suffit pour s’en persuader de comparer le passage cité (vii, 36, 1-7) et celui-ci :
Or cependant qu’ainsi a lieu un duel farouche
entre l’armée fidèle et la païenne,
au sommet de la tour monta sur un balcon,
et contempla, bien que de loin, le fier Soudan ;
il contempla, comme en théâtre ou en arène,
l’amère tragédie de l’état des humains :
les variables assauts, la fière horreur de mort,
et les grands jeux du hasard et du sort. (xx, 73.)
Le « référent », ou autrement dit la base dénotative de la comparaison, est identique dans les deux cas ; mais l’équilibre est évidemment différent, et ce qui était matérialisation dans le premier cas devient dans le second, assez clairement, un processus de déréalisation.
Le fait littéraire
Brouillage
On pourrait dire que le vraisemblable est une catégorie qui tend à soumettre un texte littéraire à l’épreuve de vérité, en faisant pour cela appel à des éléments non littéraires ; il semble ainsi que le fait proprement littéraire ait, entre autres caractères, celui de ne pouvoir se soumettre à l’épreuve de vérité. Ainsi la notion de vraisemblable serait-elle une concession au non-littéraire, une délittérarisation passagère et conventionnelle, dont l’artifice masque souvent, sous une gangue figurative, le caractère proprement « littéraire » d’une œuvre, comme l’anecdote aisément lisible masque, dans un tableau de Piero della Francesca, les subtils rapports mathématiques, physiques et cosmologiques qui en forment, dit-on, l’armature, mais peut-être le sens. Ce « brouillage » du littéraire a été jusqu’à nos jours si parfait et si rarement perçu comme tel, que nous commençons tout juste à entrevoir ce qu’est la littérature. Si l’on peut discuter de vraisemblance à propos d’un tableau de Piero della Francesca ou de Raphael, on ne le peut pas à propos d’une œuvre de Gleizes ou de Villon, fondée sur les mêmes rapports mathématiques. Voilà qui devrait donner à penser.
Et cependant, certaines œuvres littéraires échappent à la vraisemblance, comme la Divine Comédie ou Don Quichotte. Chez leurs auteurs, le génie se marque par une autonomisation du texte littéraire (qui intègre de larges zones de l’extra-texte sans être déterminé par elles)*. Devant le discours amorphe qui conditionne tout texte, deux attitudes sont possibles, et la plupart des œuvres littéraires contiennent en part différente les deux attitudes ; l’une consiste à accepter des discours tout constitués (éthiques, politiques, esthétiques) qui entraînent à des reconstitutions de textes non autonomes et partiellement centrifuges (mais non détachables!) : distributions actantielles de rôles, descriptions, épiphonèmes. L’autre attitude après la nécessaire désarticulation des discours constitués, et l’assomption des éléments amorphes de l’extra-texte, opère une restructuration originale qui intègre en un nouveau système l’ensemble des éléments extraits de l’extra-texte ; on peut rappeler que Dante appelle la Divine Comédie
                              le poème sacré
à qui ont mis la main et ciel et terre.  (Par. xxv, 1-2.)
Ces dernières œuvres, beaucoup plus rares que les autres, détruisent en même temps la notion de genre, si bien qu’elles ne sont jamais imitables, et ne sont pas non plus réductibles à une œuvre ou à une classe d’œuvres précédentes ; leur structure intègre en fin de compte un grand nombre d’éléments libérés des conditions passagères de l’extra-texte, ce qui fait que, non seulement leur contenu, mais leurs justifications restent acceptables et perceptibles même lorsque les conditions qui favorisèrent leur naissance ont disparu.
Dans le cas du Tasse, nous avons un exemple assez rare de conscience critique accompagnant l’élaboration d’une œuvre qui présente presque tous les degrés de conformité et tous les modes d’évasion du vraisemblable, et qui a été ensuite significativement transformée en une autre plus respectueuse d’exigences que l’auteur avait métalittérairement faites siennes, mais que la littérature (d’autres diront la poésie)[20] avait constamment trahies au cours de l’élaboration du texte. Et, ce qui avait été impossible au cours de la constitution du texte, l’identification détachée et précise des lieux où la littérature reprenait de force son autonomie, se réalise par la suite, lorsque l’écrivain vieilli eut en quelque sorte perdu l’élan qui lui avait permis d’enfreindre les règles qu’il s’était forgées, et acquis une clairvoyance critique (identification des lieux autonomes du texte) qu’il mit au service, non de la littérature, mais de ses exigences métalittéraires, afin de les écarter et de mieux intégrer son texte dans un ensemble de comportements extra-littéraires. On a ainsi sous les yeux la réalisation d’un processus d’aliénation grandissante d’un texte, par l’augmentation de sa vraisemblance, et de sa conformité avec un autre texte pris comme base de l’épreuve de vérité.
Réalité littéraire
En tout cas, chaque époque a son système de vraisemblance, la nôtre tout comme les autres. Et l’histoire de la critique n’est faite que des jugements reposant sur le système de vraisemblance lié à une époque, et notamment sur ses théories scientifiques. Si nous en savons assez pour voir que nos instruments déforment la réalité, et même en quoi ils la déforment, il reste à découvrir quelle est la réalité littéraire. Ce travail de découverte est encore pour longtemps négatif : il s’agira de voir à quoi la littérature ne s’identifie pas pour voir ensuite, peut-être, de quoi elle est vraiment faite, quels éléments et mécanismes met en jeu la création littéraire, de quelles habitudes et de quelles attentes doit se débarrasser la perception littéraire, pour correspondre plus exactement à la littérarité d’une œuvre.

Apostilles (2008)
P. 14 « Le texte est justifié » : un facteur de cette justification est la pratique intensive de l’allusion : la Jérusalem délivrée est un véritable montage de réminiscences des grands classiques, l’Énéide, la Pharsale, la Thébaïde, les Puniques, Ovide, Horace, Dante, l’Arioste : appel explicite à la commune mémoire de l’auteur et de son lecteur, c’est une opération purement littéraire, une inscription du texte dans un corpus, de la parole poétique dans une langue accréditée. Que ces allusions soient souvent truquées par un minime changement est une preuve de plus de l’ostinato rigore avec lequel le Tasse mène son combat, larvatus.
P. 21 « L’utilité de la recherche historique » : c’était écrit en 1968, sous la pression de l’opinion commune « structuraliste », représentée alors, avec un brio digne d’une meilleure cause, par l’inoubliable Roland Barthes.
P. 21 « L’absence de valeur propre » : je dirais aujourd’hui que ces œuvres « n’apportent rien », c’est-à-dire (avec Eliot[21]) ne modifient pas la configuration de la tradition, ne font pas relire les grands modèles du genre – comme c’est le cas par exemple pour l’Énéide relue après la Jérusalem, notamment ce qui concerne la relation à la divinité[22]. Modèle d’elle-même, l’œuvre devient alors modèle non seulement de ce qui suivra, mais de ce qui l’a dans le temps précédée.
P. 22 « Un système d’échos », v. la première ces Apostilles.
P. 22 « Un texte définitif » : j’étais alors mal informé ; on sait aujourd’hui ce qu’il en est, à la suite des travaux de Luigi Poma et de ces élèves[23] ; la Jérusalem est une « belle inachevée », livrée au public par accident et dans un état qui n’est définitivement provisoire. Il reste que ce qui importe est le texte qui a, si l’on peut dire « fonctionné ».
P. 23 « Presque tous (les modes de fonctionnement du vraisemblable) » : naïveté qu’explique (sinon justifie) mon inculture ; disons : en présente un échantillonnage impressionnant par sa cohérence.
P. 24 « L’absolu du texte » : formule vague et douteuse, qui reflète bien la surdité historique et philologique de commande du pire « structuralisme ». Ce qui en reste est ceci : non un « absolu » (le texte illusoirement autosuffisant), mais une codification entièrement définie dans le domaine littéraire (à nouveau la tradition des grands modèles).
P. 24 « Le texte est un invariant » : je m’en prenais là, sans grande utilité, au combiné de critique « positiviste » et de critique « esthétique », qui d’une part prétendait épuiser le texte en énumérant « sources » et recoupements, et d’autre part jugeait en fonction de critères souvent inexplicites. Dire (gauchement) que le texte est un « invariant » signifiait qu’il faut se refuser à le plier à des critères autres qu’internes, à charge pour l’analyste de les identifier judicieusement.
P. 29 Inclusion-exclusion : un mécanisme important permettant de tourner la réduction des possibles du texte, et qui m’avait échappé, est la substitution, fort spectaculairement illustrée dans la Jérusalem délivrée (v. le troisième essai de cet ouvrage, p. 96-98) par les morts impossibles de Renaud.
P. 32 « La communication n’est pas évidemment la fin première et principale de l’œuvre littéraire, du moins pas selon les modes habituels du langage courant » : j’aurais été bien en peine de donner alors une « version » positive de cette formulation évasive. Je dirais aujourd’hui que bien entendu la communication est la fin première et principale de l’œuvre littéraire, mais que, bien que celle-ci exploite les signes de la langue ordinaire, elle les rapporte à des codes différents, et délivre des messages qui s’adressent à des récepteurs différemment qualifiés : en somme l’œuvre dialogue d’abord avec la tradition, la littérature essentiellement avec elle-même.
P. 34 n. Fleming réactionnaire : On sait aujourd’hui que les romans de Fleming sont des parodies. Tout le monde, y compris Eco, s’y est laissé prendre : celui qui a été « réactionnaire » est le lecteur d’alors.
P. 42 « Ce n’est pas un épisode » (l’histoire de Renaud) : voir le troisième essai, p. 96-98.
P. 43 « [Le] texte littéraire […] intègre de larges zones de l’extra-texte sans être déterminé par elles » : dans ces œuvres, le « réalisme » est entièrement soumis à la « géométrie secrète » de la construction démonstrative, et n’est en somme que la figuration qui couvre la « charpente »[24] de la composition : en retour, ils reçoivent de celle-ci un surplus de sens.


Bibliographie sommaire


La Gerusalemme liberata, a c. di D. Carbone, Firenze, Barbera, 1870.
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Dupront, Alphonse, Le mythe des croisades, Paris, Gallimard, 1997.
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[1] C’est en 1956, à Tunis, que je découvris une édition d’avant-guerre du poème, perdue depuis (a cura di Giuseppe Morpurgo, si j’ai bonne mémoire) et commençai à le lire, sans y comprendre grand-chose.
[2] J’avoue que c’est l’approbation de Sergio Zatti, L’uniforme cristiano e il multiforme pagano, p. 33-34, bien flatteuse pour ma vanité, qui a eu raison de mes réticences agacées. Il m’a fort aimablement autorisé à reproduire son résumé (v. p. 11).
[3] Ces Apostilles (p. 56) sont appelées dans les texte par un astérique [*].
[4] Cet essai était destiné à des lecteurs ne connaissant pas nécessairement l’italien ; je n’ai pas cru devoir rétablir le texte original.
[5] S. Zatti, L’uniforme cristiano …, p. 33, n.
[6] Les abréviations DAP et DPE, renvoient à Discorsi dell’Arte Poetica e del Poema Eroico, in T. Tasso, éd. de L. Poma (v. Bibliographie). C’est la version tardive des Discours théoriques du Tasse (à part. de 1587, publ. 1594) qui est principalement citée : plus développée que la première rédaction (1562, publ. 1587), elle en met mieux en évidence le caractère justificatif, et est en quelque sorte aux Discorsi dell’arte poetica ce que la Conquise est à la Délivrée. Lorsque le texte des DPE est la reprise exacte de celui des DAP, la référence à ces derniers précède ; elle suit lorsque la formulation des DPE est différente. Toutes les traductions sont de nous.
[7] Le Tasse (DPE, ii, p. 100) en appelle à Aristote (Probl., xviii, 917 b) : « Nous nous méfions des choses trop lointaines, et donc ne pouvons trouver plaisir à celles en lesquelles nous n’avons point foi mais les autres qui sont trop nouvelles, il nous semble encore les entendre : aussi en avons-nous moins de plaisir. »
[8] Elle constitue la base de la relation de vraisemblance : « Quoi qu’il en soit, l’argument de l’excellentissime poète épique doit se fonder sur les histoires. » (DPE, ii, p. 93 ; DAP, i, p. 6) « Et en somme le vraisemblable n’est pas une de ces conditions requises par la poésie pour plus de beauté ou d’ornement, mais elle est propre et intrinsèque à son essence, et en toutes ses parties par-dessus toute chose nécessaire. » (DPE, ii, p. 96).

[9] Pour la Jérusalem Délivrée, v. p. 19. Voici les deux premières octaves de la Jérusalem Conquise : « Je chante les combats et le chevalier souverain, | qui ôta son joug à la cité du Christ, | beaucoup par sa sagesse et son bras invaincu | il accomplit en cette glorieuse conquête, | et de morts encombra les vallées et le plaine, | et la mer fit courir mêlée de sang. | Beaucoup en ce rude siège aussi souffrit, | aussi d’abord la terre et puis le ciel s’ouvrit. | | D’un côté enflammèrent, du ténébreux enfer | les anges rebelles, amours et courroux ; | et répandant parmi les siens un interne poison, | contre lui armèrent les royaumes d’Orient ; | de l’autre, le messager du Père éternel | balaya les flammes et les armes et les haines indignes, | tant de grâce donna en ce douteux assaut | à la Croix le Fils, hautement déployée. »
[10] V. G. Getto, Interpretazione del Tasso, (part. le chapitre Dal Gierusalemme alla Conquistata, p. 420-274).
[11] B. Tomachevski, « Thématique », in Théorie de la Littérature, trad. T. Todorov, Paris, Seuil, 1966, p. 285.
[12] Op. cit., p. 287
[13]. « Tout laisse à penser... que le ressort de l’activité narrative est la confusion même de la consécution et de la conséquence, ce qui vient après étant lu dans le récit comme causé par...’, (R. Barthes. « Introduction à l’analyse structurale du récit », in Communications 8, 1966, p. 109.
[14] Aristote, Poétique, 1461 a, : « En effet, peut-être n’est-ce ni en mieux que les poètes les racontent [les histoires des dieux], ni en vrai, mais, comme le dit Xénophane, « conformément à l’opinion générale ».
[15] Poetica d’Aristotele vulgarizzata e sposta per L. Castelvetro, Bâle, 1576, p. 4-5 ; cité par G. Della Volpe, Poetica del Cinquecento, Bari, Laterza, 1954, p. 57. Le passage commenté est 1447a 15.
[16] U. Eco, « James Bond : une combinatoire narrative » in Communications, cit., p. 77-93 : « On saisit clairement à ce point comment les romans de Fleming ont pu obtenir un succès aussi répandu : ils mettent en mouvement un réseau d’associations élémentaires, ils appellent à une dynamique originelle et profonde. » (p. 93). Fleming « est réactionnaire parce qu’il procède par schémas » (p 92).*
[17] B. Tomachevski, op. cit., p. 288, cite un phénomène analogue : « Voir dans la Guerre et la Paix de L. Tolstoi tout un rapport de stratégie militaire sur la bataille de Borodino et l’incendie de Moscou, qui a provoqué une polémique dans la littérature spécialisée ».
[18] On pourra lire le sonnet Si grand’ peur ai-je de faillir, dans Cecco Angiolieri, Sonnets, introduction et traduction de C. Perrus Paris, Lettres Modernes, 1967, p. 18-19 (édition bilingue), qui pousse à l’obscénité le langage institutionnalisé de la poésie lyrique amoureuse.
[19] P. Macherey, « Borges ou le récit fictif » in Pour une théorie de la production Littéraire, Paris, Maspero, 1966, p. 279.
[20] Nous substituons donc, à l’opposition « poésie-non poésie », ou « poésie-littérature » (Croce en particulier, et bien d’autres après lui) la distinction « éléments littéraires-éléments non littéraires » étant bien entendu que ces derniers peuvent être littérarisés.
[21] Eliot, T. S., « Tradition and the individual talent » (1919), in Selected Essays, London, Faber and Faber, 1932, 19994, p. 13-22.
[22] Confronter « con la fede |che faria stare i fiumi e gir i monti, |devotamente al Re del mondo chiede » (xiii, 70, 3-5), « Tarde non furon già queste preghiere |che derivàr da giusto umil desio, |ma se ‘n volaro al Ciel pronte e leggiere |come pennuti augelli inanzi a Dio. |Le accolse il Padre eterno » (72, 1-5) et « Desine fata deum flecti sperare precando » (Én. vi, 376).
[23] POMA, Luigi, « La quaestio philologica della Liberata », in D. Della Terza (ed.), Dal « Rinaldo » alla « Gerusalemme ». Il testo, la favola (Colloque de Sorrente), città di Sorrento, 1997, p. 93-111.
[24] Bouleau, Charles, Charpentes, la géométrie secrète des peintres, Paris, Seuil, 1963.

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